Présentation de l’atelier et de la consigne

jeudi 4 décembre 2014, par Webmestre

Klee a beau avoir laissé plus de 8 000 œuvres, il est inclassable : ni fauve, ni cubiste, ni surréaliste, ni figuratif, ni abstrait, mais tout cela à la fois. Réductible à aucun style, à aucune école. D’où viennent ces drôles de créatures qui gigotent comme des Shadoks ? Et ces dessins proches de ceux des grottes préhistoriques ? Dans son Journal, Klee disait la même chose, plus joliment : « On apprend à voir derrière la façade, à saisir une chose à la racine. On apprend la préhistoire du visible. » C’est cette « préhistoire » que toute sa vie Paul Klee s’acharnera à sonder, pour s’approcher au plus près du réel.

KLEE : « L’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible ...

... et le domaine graphique, de par sa nature même, pousse à bon droit aisément à l’abstraction. Le merveilleux et le schématisme propres à l’Imaginaire s’y trouvent donnés d’avance et, dans le même temps, s’y expriment avec une grande précision.
Ainsi écrit Paul Klee. L’art est démiurgique1, mais cette re-création du monde se fonde sur l’emploi rigoureux, maîtrisé, d’un vocabulaire plastique fait de signes soigneusement élaborés.
Les signes qui peuplent ses œuvres peintes, dessinées et gravées ne sauraient être décrits au moyen d’une logique d’inventaire pointant une liste de motifs récurrents. Chaque signe, chaque motif joue au sein du tableau où il apparaît un rôle équivalent à celui d’un mot saisi au sein d’une phrase. Klee a une syntaxe propre, dont les signes sont les éléments de base, qui ne prennent sens que par association et contextualisation. Dès lors, puisque aucun motif ne se voit attribuer de sens permanent, figé, il faut renoncer aussi à toute logique de traduction : à toute approche de cette peinture qui réduirait les œuvres à n’être que de simples rébus. La même flèche, la même ligne brisée, la même étoile, vue dans plusieurs peintures, y acquiert chaque fois une puissance d’évocation différente. Klee manipule le « symbole » comme on joue avec le feu : un art qui ne s’explique pas mais s’expérimente, un art qui ne reproduit pas le visible mais rend visible...
« Les tableaux nous regardent », dira Klee
Dès ses jeunes années, le peintre va explorer le pouvoir symbolique de motifs réduits à leur épure. Ainsi va-t-on retrouver non seulement des lettres, mais aussi des croix, des yeux, et des fragments d’objets dans nombre d’œuvres où ils ont une fonction que l’on pourrait nommer d’« équivalence ». L’œil, par exemple, est là en lieu et place de l’être humain, partie valant pour le tout. Ni figuratif ni abstrait, l’artiste cherche les formes qui auront la plus grande puissance d’évocation, et c’est dans ces signes construits sur la réduction du naturel à sa structure élémentaire qu’il trouve son outil. Le signe fait ainsi du tableau un microcosme.
S’il ne reproduit jamais le visible, Klee ne devient jamais purement abstrait pour autant. Ou, plus exactement, l’abstraction ne peut se penser chez lui que, à proprement parler, comme abstraction de la réalité. En d’autres termes : le signe se construit par réduction du monde à des structures primaires. Rendre visible, c’est aussi cela : manifester le permanent sous le divers, le sous-jacent masqué par le foisonnement du visible.
Instruit par l’œuvre du peintre français Robert Delaunay de la puissance spatialisante de la couleur, de sa capacité à créer l’espace sans avoir recours aux moyens traditionnels de la perspective, il découvre à Kairouan une nouvelle façon de peindre.
En Tunisie, Klee déclare : « La couleur et moi sommes un. Je suis peintre. »

Pour une exposition de Paul Klee Henri Michaux écrit dans "Aventure des lignes" :
Une ligne rencontre une ligne. Une ligne évite une ligne. Aventures de lignes.
 Une ligne pour le plaisir d’être ligne, d’aller, ligne. Points. Poudre de points.
 Une ligne rêve. On n’avait jusque-là jamais laissé rêver une ligne. Une ligne attend. Une ligne espère. Une ligne repense un visage. Lignes de croissance. Lignes à hauteur de fourmi, mais on n’y voit jamais de fourmis. Peu d’animaux dans les temples de cette nature, et seulement leur animalité une fois retirée. La plante est préférée. Le poisson à l’air méditant est reçu. ……..


Pour entrer dans ses tableaux et d’emblée, rien de ceci, heureusement, n’importe. Il suffit d’être l’élu, d’avoir gardé soi-même la conscience de vivre dans un monde d’énigmes, auquel c’est en énigmes aussi qu’il convient le mieux de répondre. 
 Bonne chance. 
 Henri Michaux »

Poème de TANIKAWA Shuntarô) tiré de Les Anges de Klee (Chocho no tensoku, 1987).

ANGE AU GRELOT

Les choses que j’aurais tant voulu écrire
sont celles que je n’ai jamais su mettre en mots

Chatouillé par le grelot de l’ange
un bébé rit
Câlinées par le souffle du vent
une fleur fait « oui » de la tête

Jusqu’où aurait-il donc fallu poursuivre la route ?
Les jours d’après la mort à ceux d’avant la vie
en un cercle bien rond s’enchaînent

A présent j’ai droit au silence
Malgré la foule des paroles
Malgré les milliers de chansons
la tristesse ne s’est jamais dissipée et pourtant

La joie non plus ne s’est jamais envolée
Lire les textes d’Aragon extraits de « écrits sur l’art moderne »
"Vogel versammeln sich"(1937)
et dernier paragraphe de Letzter schnee (1923)
relatifs à des tableaux de Paul Klee.

« Le Nil est la veine de tout », écrit-il à sa femme, Lily, en 1928. Dix années après, les sonorités bleues du grand fleuve que le peintre met en résonance avec l’ocre sombre, dense, chaleureux, du monde qui le peuple et foisonne à sa surface et dans sa profondeur. Une orchestration de présences. Sur l’eau, sous l’eau, des formes dialoguent, en harmonie ; un ensemble organique, cohérent, qui palpite paisiblement.
De petites unités linéaires et horizontales plus ou moins accentuées, en haut de la toile, sillonnent le fleuve, se croisent, une flottille de formes poussée par un vent que l’on sent léger – verticale de mâts ou des voiles.
dans le bas de la toile, une cohorte de petites formes, en un savant et presque bruyant désordre, active la profondeur du fleuve.
Dans chaque petite forme – des « sonorités très condensées », dirait Klee –, l’énergie s’accumule et éclate en autant d’accents rythmant une énigmatique partition.
Bien accentuer une musique, un texte, un discours ou un tableau, n’est-ce pas bien rythmer ?
Ainsi, identifiables ou non, toutes les petites formes qui, à la surface ou dans la profondeur, peuplent le Nil que Klee rêve au pastel ne cessent d’advenir, imprimant au tableau dans son ensemble un mouvement toujours au bord de s’accomplir.