Lecture à voix haute

mardi 9 février 2016, par Frédérique Niobey

Je ne sais rien faire d’autre pour ajuster le tir verbal que dire et lire à voix haute, recommencer, relire et redire, et donc émettre le texte par le corps, avec lui, soumettre le texte au risque de l’air, de sa densité, le tendre, le pousser, l’ériger, le respirer, le humer, l’expectorer. Il faudrait écrire extrailler qui serait tellement meilleur qu’extraire parce qu’il dirait aussi les entrailles, les entrailles susmentionnées, les mariales et les autres, les miennes aussi, d’où ça sort et d’où ça monte, puisque cette respiration-là, celle des textes, comme celle du chant, part du ventre, et monte, prenant tout le corps, le mettant en jeu et en branle, le traversant littéralement, d’où le tamis, qui suppose aussi du geste, un ébranlement, un recommencement, une ténacité. Le tamis du corps ne suffit pas, il faut dire le tamis des corps, parce que le corps du lecteur est aussi en jeu ; la phrase est tendue et travaillée pour lui rentrer dedans, pour rentrer dans les lecteurs, leur faire perdre et chercher, perdre ou chercher, rechercher, recouvrer leur respiration, et leur souffle. Ma phrase est faite pour leur passer dessus, au travers, pour les caresser pour les broyer les caresser les consoler les acculer les empoigner les débusquer les pousser dans leurs retranchements les plus embroussaillés les consoler les caresser. La phrase est faite pour danser.

Marie-Hélène Lafon (extrait de Ceci est mon corps in Chantiers)

A deux, lire un texte de Marie-Hélène Lafon à voix haute/ Entendre un texte de Marie-Hélène Lafon lu à voix haute. Rendre compte de cette expérience de lecteur et d’auditeur. L’auditeur peut utiliser un abécédaire pour prendre des notes et écrire son texte.

Les derniers indiens, lu par Catherine à Josiane

Relire à voix haute le texte lu silencieusement tout à l’heure... les mots prennent sens, il faut s’arrêter sur chacun, prendre le temps de le dire, sans l’avaler, sans passer dessus, ou au-dessus, ou par-dessus, comme nos yeux peuvent le faire qui suivent notre envie, notre désir de lire, d’avancer dans l’histoire, on peut sauter des descriptions, des explications, pour continuer, aller plus loin, plus en avant.
À haute voix, ce n’est pas possible, ce n’est pas du jeu. Et puis on lit pour l’autre, on se doit de lire le plus distinctement possible, en suivant la ponctuation et le sens au plus près. Parfois on accroche, on se trompe, on reprend, on repasse sur les mots écorchés. Josiane lève la tête, n’écrit plus, ne relève plus de mots. Est-ce que l’écoute est difficile, ingrate ?
La lecture devient laborieuse, les mots se coincent dans ma gorge qui se serre, qui s’assèche, qui se fatigue. Je suis debout et mon corps a du mal à me porter, il vacille un peu, me fait signe qu’il serait temps de s’arrêter, de se reposer un peu. Ça tombe bien, les dix minutes sont écoulées, je finis ma phrase sur les expressions de la mère qui « venaient de son père dont elle avait été la fille unique, née sur le tard et longuement aimée ». Une belle chute.
Catherine

CHAISES : Cela pourrait être confortable comme un canapé, un divan, un sofa, un fauteuil. Mais Marie est obsédée par les chaises. Elle en voudrait des neuves. Jean ne veut pas. L’odeur des chaises cirées lui revient en mémoire, tourne en boucle comme dans une mauvaise publicité de super marché.
Adepte des grandes formules, la mère dirait : c’est pas facile de se décider, d’avoir le cul entre deux chaises.
ODEUR : Odeur des chaises cirées : facile. Odeur du ragout de bœuf : facile. Odeur de l’étable : facile. Mais quand on sent aussi l’odeur de la mère, cela se complique : pas dans ses affaires qui ont été lavées plusieurs fois, l’odeur de la mère, c’est l’odeur de sa présence et cette odeur-là , avec le temps, elle s’en va...
RIEN : Chez ces gens-là, monsieur, on rumine, on rengaine, on regarde, on ramone, chez ces gens-là, monsieur, on " rien ". Chez ces gens-là, monsieur, on ne vit pas, on vivote, on pantoufle, on écoute la pendule du salon qui dit oui qui dit non, qui dit je vous attends !
Josiane

Les pays lu par Jacqueline M. à Stéphane

Lire.
A voix haute. A haute voix.
Je ne reconnais pas ma voix. Voix grave. Aigüe. Basse.
Etrangement étrangère.
C’est une autre que moi qui donne à entendre par le son, la musique du texte de Marie-Hélène. Je m’applique. J’aurais dû lire avant. Silencieusement. Pour l’anticipation. Pour l’appropriation. La diction. Pour dire clairement, de manière intelligible et distincte les mots de l’auteur. Pour dévoiler à coup sûr les subtilités qui échappent à la lecture silencieuse mais se révèlent parfois, aussi, grâce à elle.
Il faut une grande maîtrise de l’oralité , une rapide capacité d’analyse pour restituer un texte aux auditeurs, provoquer l’enthousiasme, l’émotion, le plaisir, l’envie d’entendre la suite.
Ma voix monte, descend puis remonte et redescend le long de mon corps intérieur. Mon ventre vibre, se tend, se creuse. Abaissement du diaphragme. Poussée du souffle vers le haut. Il vient des profondeurs abdominales. Je respire sur les virgules. Légèrement. Brièvement. Mes épaules se soulèvent. Mes mains tremblent un peu. Je suis un tube de résonance. C’est inhabituel !
Soupir. Demi soupir. Demi pause. Pause sur les points. Vocabulaire de la musique.
« Respire comme quand tu chantes ! Pas de tête, ta voix. Pas du corps d’en haut. De ton corps d’en bas qui travaille à extraire les mots de l’histoire comme les cailloux d’une carrière, à les effleurer, les caresser, « piano, pianissimo », les appesantir « forte », les écouter lorsqu’ ils passent, les retenir s’ils filent trop vite, « allegro vivace », si ils s’enflent ou grondent fort. « Double forte ».Toutefois, laisse-leur leur libre expression, libre sens, libre choix, libre lieu. Tu n’es pas l’auteur de la partition. »
Lire à voix haute est une géographie organisée en reliefs.
J’ordonne à ma voix le respect infini. Elle est un outil. Elle « dit » à Stef qui écoute. Elle me « dit »à moi aussi ce que les mots noirs ont à dire et peut être plus si je réussis à les colorier. Alors je place ma voix, la module. Son timbre bute sur les murs, donne les monts, les creux, les collines, les pics, de la mélodie, laisse éclater en décor un paysage vivant. Les mots ont des distances et des altitudes.
Ne pas négliger les silences de la nature. Ils laissent place à l’écho.

Assise sur le canapé vert, sous la lampe blafarde, je m’entends, je m’écoute, surprise par cette nouvelle aventure .
Je suis en représentation. Je théâtralise.
Jacqueline M.

La voix s’élève à la mesure du tchoutchou du train qui monte à la capitale. Ils viennent pour le salon et ils dormiront à Gentilly, de l’autre côté du périphérique, chez Suzanne et son mari qui travaillent à la poste. Depuis la gare ils passeront la Seine, oh ! juste traverser le point d’Austerliz. Ils remarquent que l’hiver s’invite aussi dans la grande ville, mais ça ne semble pas être du même bois !
« Il pleuvinait noir dans les rues brillantes chargées de gens » sur les boulevards luisants. Les voix sont à plusieurs canons, chacun a sa parole, ça cacaphone un peu dans la pièce... Je décroche, j’ai perdu ma liste de mots, mon stylo, égarée dans la ville qui pleure sur son bitume.
Dans la ville, les bruits ne sont pas les mêmes non plus, ni l’intensité, ni la résonance … Rien n’est pareil à la campagne. C’est comme le bruit de assiettes et des couverts sur la table, suivant si la nappe à carreaux est dressée ou pas, ça atténue les sons, ça dépend d’où on se place... car il est toujours question de place au bout du compte ! On n’y peut rien c’est le cycle inlassable des saisons et des mots nécessaires.
Dans les obliques des avenues, les courbes de campagne ou l’inclinaison du wagon sur les rails … le voyageur est assis, ses bagages à ses côtés, le paysage défile, et les mots s’échappent.
Stéphane

Les pays lu par Françoise à Jacqueline R.

Claire, elle se prénomme ainsi, du moins je l’espère, j’ai une très mauvaise mémoire des prénoms.
Et puis qu’importe.
C’est une toute petite tension d’abord, puis très vite les phrases longues et ponctuées me font pénétrer moi et mon souffle tout entier dans le sentiment exprimé, glisser dans cette histoire où deux mondes se rencontrent.
Dans ce que Claire prend du monde qui l’entoure à présent, avec ses yeux, son cœur, son nez, sa peau, ses racines, parce qu’elle vient de là-bas.
Claire vient d’un pays où l’herbe qui pousse est transformée en foin pour les vaches et l’herbe du jardin du Luxembourg, les vaches ne la mangent pas. C’est sur cette herbe qui ne sera jamais du foin, qu’elle réalise qu’elle a réussi, elle est reçue à son examen. Et elle regarde autour d’elle chaque chose en cet instant d’immense confiance, avec au fond d’elle une perception en devenir qui monte en moi au fur et à mesure que je la lis.
Au fur et à mesure ma voix s’est animée car j’ai vécu avec elle l’importance de l’instant.
Françoise P.

« Phrases latines à décortiquer » Ces phrases latines … Le latin, ma deuxième passion.
Plus que les chapitres du « De viris », plus que les anecdotes passionnantes et révolues de Jules César, de Sénèque, Tacite et Marc-Aurèle, plus que les plaidoiries kilométrées de Cicéron, plus que la description du bouclier d’Énée, les discussions de Tityre et Mélibée « sub tegmine fagi », c’était le don d’une page hermétique qui, trois heures plus tard, aurait livré tous ses secrets, qui me transportait au cinquantième ciel, à tel point que je prolongeais ce plaisir pendant les vacances scolaires, à l’insu de mes parents qui se seraient inquiétés de la santé mentale de leur rejetonne.
Une page hermétique, disais-je, avec des termes vingt fois plus bousculés qu’en allemand, des phrases qui n’en finissaient pas. Le plaisir de partir d’abord à la recherche des points et des virgules, ensuite, la traque des désinences. Notre professeur nous avait enseigné à réécrire la phrase dans l’ordre logique des termes de la phrase française. À ce stade-là, on n’avait pas trop idée de ce que racontait le texte, ne reconnaissant au passage que quelques mots. La reconstruction terminée – ablatif absolu ! hihi ! – , on ouvrait le dictionnaire : peu à peu, très lentement, comme une baleine émergeant de l’océan, apparaissait quelque chose de sensé, parfois inattendu et on mettait illico le cap sur le décorticage de la phrase suivante, puis la suivante. Venait ensuite ce que je nommais le polissage : retranscrire tout ça en un français bien fluide, bien rond en bouche sans évidemment trahir l’auteur. Long mais passionnant.
Au terme de ma version latine, je me sentais un peu une âme de créateur : même si je n’avais rien inventé, j’avais fait sortir quelque chose du néant et ça, pour une gamine, c’était fabuleux !
Jacqueline R.

Les taupes lu par Stéphane à Jacqueline M.

Je lis. Ma voix ? C’est toujours étrange d’entendre sa voix. C’est son texte extrait d’« Organes » l’histoire des taupes que je lis à voix haute. Je revois son visage à Marie Hélène, elle a des creux et des vagues et ses mains qui bougent quand elle parle. Je crois que mes mains ont bougé aussi. Les enfants, les taupes courent. Tout le monde a couru sous terre, dedans dehors, les mots scandés m’habitent longtemps... J’ai butté aussi sur les buttes de terre des taupes. J’ai déposé mes lunettes sur la table, mes yeux de myope lisent mieux sans lunettes... Les mots sont là, bien en dedans, et à fleur de peau en même temps. Ca picote du dedans et ça nous tient debout longtemps.
Stéphane

A comme Attentive ou Attention
La lectrice, les yeux fixés sur la page, avance mots à mots, attentive à leur forme, leur tournure, leur allure, leur sens, leur couleur. Une restitution arrive vers moi qui écoute avec attention.

B comme Balancer et Bercer
La lectrice lit de tout son cœur, et de tout son corps qui se balance au ressac du chant des mots qui déboulent en vagues écumeuses et me bercent.

C rien

D comme Debout
La lectrice se tient debout. C’est bien. C’est mieux, pour la colonne d’air qui prend appui sur le ventre, monte et fait exploser sa voix.

D comme Danser
J’écoute les yeux fermés. Elle est dans le tempo du texte-partition, la lectrice. Je le sens, le ressens, il passe du livre à son corps, de son corps à mon corps, alors que la terre du champ se boursoufle de la terre-farine des taupinières. Je danse avec les enfants dans la prairie parsemée de monticules bruns et tamisés.

E comme Emotion
La voix de Steph, bute, comme le bout du pied sur une pierre, accroche, ricoche puis se reprend, mal à l’aise, respire, se relance, retrouve le tempo.
Son Emotion avec la mienne.

F-G-H, rien.

I comme Image
Sur le chemin de l’école. Avec les cartables.
Dans le bus du ramassage.
Dans le champ avec les taupes et les morceaux de vers de terre, (chez moi on dit des « achées »), redécoupés en morceaux avec des ciseaux rouillés.

J-rien.
K-rien.
L-rien.
M-N et O – rien.

P comme Plaisir et Pas Pleurer
Plaisir de l’écoute.
Plaisir de l’histoire racontée le soir par ma mère assise sur le bord du lit.
Alors Pas Pleurer.

Q-rien.

R comme Rapprochement
Il est physique. La lecture à haute voix rapproche du texte, réduit la distance, donne la vie, à l’auteur, aux acteurs de l’histoire dans un décor qui se plante. On se touche à trois. Marie-Hélène, Steph et moi.

S comme Sainte sacré et Sanctuaire
Une Sainte trinité dans un monde en trois dimensions. Marie-Hélène, Steph et moi. Le texte lu est sacré. Il se lit dans un sanctuaire.

T comme Technique
Elle n’est pas au point. Forcément.
Fred nous a dit : « Par deux, une qui lit à voix haute, l’autre qui écoute, après on change. »
Steph est dans l’improvisation de la consigne qui lui tombe dessus. Moi aussi. On s’applique mais...
Il s’agit de donner à entendre par la voix ou encore de mettre en voix pour interpréter.
un art pour un travail d’artiste qui doit répéter ses vocalises, gérer sa respiration. Une activité particulière, seconde par rapport à la lecture silencieuse que l’on dit première ou vraie lecture.
Il faut avoir lu et compris le texte à restituer à l’auditoire : articuler, faire les liaisons, être audible, avoir une lecture qui coule, produire une bonne intonation, régler le débit de sa voix, son rythme, la moduler, la ponctuer, après avoir anticipé rapidement sur les groupes de mots, les groupes de souffle, lever les yeux sur l’auditoire que je suis.
Cela ne s’improvise pas. Cela s’apprend ! Cent fois sur le métier...
Voix aiguë, voix forte, voix douce, voix grave, voix qui monte en interrogation, accentuation tonique, rapidité, lenteur.
La voix de Steph parmi d’autres voix en murmure dans le grand gîte de Chênedet sanctuarisé.
Malgré tout, le rite sacré de la lecture à haute voix s’accomplit.
Jacqueline M.

L’annonce lue par Françoise G à Philippe

Un peu essoufflée ! Pas facile de lire Marie-Hélène Lafon à voix haute !
Si je lis mal, l’auditeur ne va plus rien comprendre. Effectivement, il faut respecter la ponctuation. Elle contribue à la compréhension mais aussi au souffle. Faire durer le point pour reprendre haleine. Ne pas se laisser emporter par la succession des mots. Je m’aperçois alors que chaque virgule a son importance, sa nécessité.

C’était la troisième fois que je lisais le texte. Je n’ai donc pas chercher à comprendre le récit, c’était déjà fait. Je me suis focalisée sur la respiration et l’articulation.
Sensation bizarre. Le fait de lire à voix haute est un exercice différent ; un peu comme si je chantais en anglais une chanson des Beatles. Le texte ne devient qu’une mélodie rythmée sans la compréhension des paroles. Le texte n’a alors de sens que pour celui qui l’écoute (enfin j’espère !).
Je ne lis plus pour moi mais pour l’autre. Mon seul but est de lui transmettre une parole intelligible et de ne pas abîmer les mots de l’auteure. Car elle s’est donné du mal pour écrire ce texte, le travailler. Je me dois de le restituer convenablement et même d’essayer de donner envie à celui qui l’écoute de lire la suite.

Pourquoi n’ai-je pas les mêmes sensations quand je lis une histoire à mes petits enfants ?Je fais des voix, je mets le ton, j’accentue certains mots pour leur donner de l’importance. Là ce n’est pas le cas. Le style, le sujet ne le demande pas. L’atmosphère du récit me demande semble-t-il de rester neutre. Ne pas donner d’effet. Les mots suffisent à eux même. Pas de dialogue. Juste la force des mots, les virgules, les points virgules et enfin le POINT tant attendu !
Françoise G

La nuit. Le sombre.
La fureur de l’orage qui approche, qui entoure, qui cerne. Le bruit amplifié par l’éclat lumineux prémonitoire. Les zébrures sur le moutonnement dru des collines couvertes de bois. Le temps séparant la lueur du bruit, qui diminue inscrit, sans calcul, l’orage qui approche.
Le tonnerre passant du lourd grondement au claquement éclatant. Soudain l’éblouissement et sans attente le bruit assourdissant qui fait bondir en arrière loin de la fenêtre. L’accalmie, l’espacement, le tonnerre gronde menaçant, mais lointain.
La maison, espace clos, scellé, impénétrable. Coque, paroi protégeant de l’extérieur, ventre rassurant dans l’illimité et l’inconnu. La nuit autour qui mêle tout et empêche de voir.
Philippe

L’annonce lu par Ghislaine à Caroline

La lecture à voix haute m’a donné de la teneur au « raconté ».
Les allitérations, les assonances accompagnent le rythme du récit, cela plus la ponctuation prononcée donnent au texte une autre perspective.
Je me suis vue passer dans mon « tamis », des émotions, que j’ai choisies consciemment ou pas de sur jouer, d’accentuer, comme si finalement, je voulais moi-même emmener Caroline dans ma propre histoire ; usurpation ou théâtralisation qui sans porter atteinte à son intelligence, m’obligeait à accentuer, à souligner, à surligner, à recomposer la partition musicale de M-H Lafon.
Mon interprétation me surprenait moi-même et ce que j’avais lu à voix basse de manière calme, apaisée, créant en moi, certes : effets, émotions, souvenirs, devenait à ce moment là, vivant, criant, la fiction devenait réalité : la mienne.
Je m’en emparais pour la transmettre telle qu’elle à mon auditrice. Ce texte devenait mien et j’en mesurais la portée, cette voix haute, la mienne était venue « réveiller » en moi, une dimension cachée, un endroit plus lointain où les mots prenaient corps.
Je les utilisais comme des armes, à bon escient, appréciant la pertinence de leur choix, la richesse de la ponctuation, la stratégie du changement de paragraphe …
La puissance de tir de l’auteur !
Ghislaine

Double truchement : l’annonce

Austère pays ravagé d’orages terrifiants
Bêtes mortes foudroyées
Chiens apeurés, terrorisés
Dans ce pays au milieu de nul part
Elles n’ont pas leur place les Étrangères
Faut rester seul, ou en Famille
Gars d’ici célibataires resteront
Habiteront en bas et non à l’étage
Il s’en fiche, il fait tout différent
Le Neveu indigne n’a pas su rester sans femme
Quarante-six ans révolus quand arrive Annette qui en a 37
Sa maison recevra du sang neuf
Tabou brisé
Un homme seul et une étrangères devront affronter
des Voisins aux aguets médisants et jaloux...

Caroline

Joseph lu par Philippe à Françoise G.

Pas au début, au début ça va. On comprend tout ce qu’on lit. Et puis à mesure, le texte s’empile, se tasse dans la tête, dans la voix. Tant de mots prononcés, la voix qui fatigue. Une longue marche ; les pieds qui butent contre les pierres, la voix sur les mots. Le sens des phrases qui échappent, ivresse de l’élocution.
Arrêt, reprise, rupture inadéquate du rythme.
Il faudrait pouvoir reprendre la lecture autant de fois que désiré. Et corriger chaque phrase, lui essayer différentes intonations comme on essaye des robes et chaque fois se servir de son oreille comme d’un miroir.
La question vient : est-ce que je lis aussi mal pour moi qu’à voix haute ?
Est-ce qu’on ajoute du sens par la lecture à haute voix ?
Est-ce que ces maladresses ne sont dues qu’à un manque de pratique ou ne traduisent-elles pas une lecture imprécise, inexacte cachée dans la lecture pour soi.
Entendre le texte, faire l’effort de prononcer et d’écouter le texte disperse-t-il l’attention ?
Lire le texte écrit à haute voix chasse le hiatus, la répétition, les mauvaises sonorités, mais le lire en essayant l’intonation ajoute une dimension qui peut à l’extrême totalement transformer, pervertir ou magnifier le texte.
Par la lecture à voix haute le texte s’augmente de sa dimension matérielle, la lecture pour soi n’est-elle que symbolique ?
Philippe

B comme bêtes. Elles ont tant d’importance ! Plus que les humains. La vie s’organise autour d’elles. Il faut en prendre soin. Les humains semblent être là pour ça.

C comme chien. Joseph a plus de contact avec lui qu’avec les humains. Le partage est plus intime. Le chien a le droit de le regarder faire sa toilette. Sa présence, son regard ne gêne pas Joseph.

Comme corps. Mains, pieds, épaules, le corps est décrit, analysé. Peut-être parce que la parole est rare. Ce sont les corps qui parlent.

H comme hirondelle. J’ai aimé la phrase : « Les hirondelles se jetaient dans le ciels. » . Le mouvement, le vol, la rapidité sont là dans la phrase.

M comme main. Encore une description de main comme dans « L’annonce » . parler avec les mains. En regardant les mains d’une personne on peut en apprendre beaucoup sur celle-ci. Pas besoin de confidence. On devine.

R comme Raymond. Le chien s’appelait Raymond. Cela gêne Joseph parce que c’était aussi le prénom de son père. Je le comprends : mon oncle s’appelait Raymond. Rencontrer un chien qui porterait ce prénom me ferait à coup sûr le même effet !

S comme souvenir. Les travaux qui ne demandent pas de concentration pour les effectuer, laissent les souvenirs remonter à l’esprit. Joseph apprécie ces moments là. Il n’a que cela pour meubler son présent.

Françoise G.

Joseph lu par Laurence à Nadine

Joseph, ma marionnette douce, tu as parlé par ma voix tremblotante, tu es remonté à la surface, au bord du monde, j’en ai ressenti une vive émotion. Mettre ma voix à ton service, toucher la marionnette fragile, l’extraire de son mutisme m’a carrément chamboulé. Joseph, je t’ai connu à ce moment-là lorsque je te prêtais ma voix, tu as surgi de tes ténèbres, tu as percé l’ombre devant ton visage.
Je n’ai pas voulu te déranger, si je l’ai fait, je m’en excuse. Je ne veux pas t’obliger, te démasquer, j’aime pourtant ta voix qui impose doucement aux autres ta façon d’exister simplement.
Marionnette douce, réveille encore ta voix de temps en temps.
Laurence

« E » comme écoute :
- Ecouter la voix de Laurence, appliquée à me livrer un texte, tiré de « Joseph ». Très vite, je repère l’inspiration en début de phrases. Ces dernières sont courtes dans ce récit descriptif. Je suis assidue. Je me surprends à guetter l’essoufflement en fin de phrase, à écouter le manque d’air poindre.
Le rythme des mots rend le texte captivant. Le souffle, inspiration profonde, longue inspiration, me paraît, parfois, saccadé. Il façonne l’émotion transmise qui s’en trouve grandie.
« M » comme musique :
- La voix accompagne le récit. Joseph devient partition. Les mots dansent dans la bouche de Laurence. Parfois, selon ceux-ci (consonnes dentales), la voix martèle le texte, assène les syllabes. Douceur mélodieuse et cahots brutaux cohabitent, coexistent, flirtent et se succèdent en harmonie. Les phrases courtes génèrent un son haletant.
« V » comme vaches :
Etincelle !!!! Je distingue, parfaitement, le mot « vaches ». Celui-ci est employé par Joseph, tandis qu’il évoque l’étable. Il n’a pas prononcé le terme « bêtes ». C’est bien celui de « vaches » que Laurence me lit.
Si le texte n’avait pas été lu à voix haute, l’aurais-je repéré ? Cette courtoisie de Joseph, vis-à-vis des bêtes désignées vaches, m’aurait-elle sauté aux yeux ?
En général, c’est moi qui lis à voix haute. Je n’écoute pas à voix haute, sauf au théâtre, mais le rôle est, ici, différent. Je ne suis pas assise dans un rang de spectateurs, face à une scène et à des comédiens.
J’ai l’habitude de raconter des histoires aux enfants attentifs. La place est, ici, inversée, je deviens auditrice. Je me trouve, seule à seule, face à Laurence, dont la voix devient différente épousant le livre et modulant son rythme.
Nadine

Joseph lu par Caroline à Ghislaine

L’image : promenade dans un paysage doucement vallonné vert pâle et rose.

Vagabondage, tours et détours au fil des pensées de Joseph
Cheminement intérieur, le présent et le passé s’entremêlent

De ceux qui croisent sa route il ne garde que le meilleur
Son chien Raymond est le meilleur des chiens de troupeaux
Son ami François était potentiellement le meilleur des hommes.
Aucune mauvaise pensée aucune rancœur ne semble le traverser

Il s’acquitte de son travail avec méthode afin de tout faire au mieux et dans les temps prévus
Afin que les bêtes soient biens
Il ressent le bien-être des bêtes et des gens autour de lui
Il se nourrit du bien qu’il peut faire autour de lui, à son niveau

Même s’il n’est rien s’il est au plus bas de l’échelle sociale
il sait se faire apprécier
il sait qu’on peut compter sur lui
et que lui aussi compte pour les autres
Caroline

A : Adjectifs nombreux qui soulignent tout objet, le qualifiant et lui conférant une teneur particulière et intentionnelle, ils ne sont pas choisis par hasard : carre, raz, propre, bien tenu…
B : Bêtes, on n’y fait attention pour l’honneur, elles ne sont pas des machines, on les connaît.
C : Celui qui écoute entend ! entend la récurrence de toutes les notions d’ordre, de propreté, de droiture, d’enfermement et autres. Caroline me surprend, elle me paraît « possédée » « habitée » par une autre.
D : Détails. Foultitude de petits mots, de connecteurs d’espace, de temps : géographie, histoire, géométrie d’un lieu, d’un personnage ; on visualise, tout est donné à voir.
E : Etable bien tenue, encore la propreté, ici, elle remettrait bien à sa place les idées de Joseph, comme si l’ordre extérieur pouvait influencer l’ordre intérieur et donc laissait à penser à un désordre possible : une pensée pas si à sa place que ça !
F : Famille. Perpétuellement dans les parages, au détour d’une ligne ou d’un paragraphe ; pourtant Joseph est sans famille ou immuablement pris dans les rets d’une autre famille, peut-être devenue la sienne.
G : Geste bien fait. Rien ne saurait être prétexte à moquerie, remarque acerbe, jugement extérieur. Prisonnier du geste.
I : Implicite, de la personnalité des personnages, on les découvre dans leurs agissements, dans le détail de leur quotidien, de leurs habitudes.
J : Joseph. Ma lectrice ou bien l’auteur me le font aimer d’emblée .Sera-t-il décevant par la suite ? Il n’est pas présenté comme quelqu’un d’affirmé, de charismatique. On le devine un peu fragile, un peu naïf mais on l’aime, parce qu’à travers ce qu’il fait, ce qu’il ressent, on éprouve immédiatement une sympathie pour lui, on devient Joseph.
L : Le François, jamais son prénom, peau grise marquée comme un loup, ici l’homme devient la bête.
O : On se le disait dans la maison, on riait dans cette ferme, on jouait. On entité regroupant toutes les identités présentes et gommant toute diversité de penser, d’être différent, même dans la joie.
P : Ponctuation. Ma lectrice ponctue, me donne à attendre d’en savoir plus ; Caroline ou Marie-Hélène ? + (Pointue de la gueule. Pétaron, celui qui boit trop et qui aurait pu tout faire sans alcool)
Q : Quelque chose d’autre…Au moment où je l’entends, c’est un non imaginé, un inconnu, un : je ne peux pas savoir. C’est en dehors de moi.
R : Raymond, ce chien était déjà vieux .C’est le prénom de mon propre père et il se dit parfois un vieux chien.
S : Souvenir. Se parle tout seul. M’évoque la phrase : les souvenirs sont toujours d’actualité ; concept Lacanien, je crois et en même temps Joseph avec toutes ses questions silencieuses ???
T : Tranquillité. Toilette du corps. Télécommandé. Ces termes rapprochés m’évoquent encore une sorte d’obsession de l’ordre, de la répétition du geste pour être tranquille, pour ne pas se perdre et pour se croire accepté ; mortifère pour moi et vital pour Joseph qui ne saurait exister sans ça ?
Entre U et Z : Rien, lettres trop exotiques, très peu utilisées au quotidien. Rien de ce type n’apparaît dans ce texte. Surtout restons dans le rang et en particulier pour Joseph, rester dans le rang veut dire y entrer et exister enfin.
Ghislaine

Le soir du chien lu par Nadine à Laurence

D’ordinaire, je donne ma voix, je l’offre, je la partage. Je ne m’écoute pas, je ne m’observe pas …
Anonyme lectrice, j’enregistre les sons les plus mélodieux, les plus précisément articulés et explicites pour les yeux plongés dans le noir, privés du bonheur de lire.
Je propose, volontiers, mes genoux ou le dessous de la couette à mes petits-enfants.
Je lis à haute voix pour les autres, jamais pour moi. L’objet de ma lecture à voix haute consiste à provoquer l’envie du livre, le plaisir du mot inoculé dès les premiers jours d’existence, gargarisme quotidien, rite immuable.
J’ai vacciné, ainsi, mes quatre enfants, égoïstement ! Elles sont ogresses du bouquin, ne s’endorment que repues de lettres, de syllabes, gavées de mots, de phrases, nourries d’histoires.
Ce soir, face à Laurence, j’absorbe autrement le récit. Je le bois, le sirote, ne le dévore pas. Je suis debout, peu détendue face à mon amie.
J’analyse mon éloquence. Je me scrute. Je m’applique à la diction. Je repère, consciencieusement, l’amplitude de ma cage thoracique, les marées de l’inspiration, l’expiration, le reflux puis l’étal.
Je découvre, rapidement, l’intensité des mots engloutis au fil des pages.
Je me sens assez opprimée, presque à satiété, tandis qu’en lecture silencieuse, j’avais ressenti un texte si léger, un style si aérien et digeste. Je relis différemment ….
C’est une première expérience de lecture à voix haute et je me sens public autant que mon auditoire (Laurence). Je n’ai, jamais, porté cette casquette de lecteur-auditeur, d’observateur-observé.
Je recommencerai plus sereine, une prochaine fois …
A voix haute, au fil des pages du « soir du chien », j’ai surpris un bibliobus bleu/gris, terne …. tandis qu’en lecture silencieuse, mon âme d’enfant l’avait paré des couleurs flamboyantes du bibliobus des bords de Rance, « flowers des années 70th » : Je suis bluffée !!!
Nadine

B – bleu du bibliobus qui se confond avec l’horizon bleuté, mer bleue qui s’attache au ciel bleu délavé, bruit des pas de la fillette qui résonne dans ce décor théâtral,
C – couleurs dans la voix qui murmure à mon oreille, un mince filet chevrotant et charmant qui sort de la bouche de la conteuse,
D – diction qui dégouline délicieusement sur l’histoire de Marlène, la liseuse, amour pour Laurent détonant au cours des pages tournées,
C – conte rempli d’images luxuriantes que j’entends, images colorées qui tourbillonnent,
Ralentissement du ton qui stoppe soudain l’émerveillement, une pause est faite puis Marlène revient,
Scène de théâtre qui prend le pas sur le récit, les acteurs font leur entrée et les planches résonnent,
Couleurs apprivoisées qui s’accrochent aux tableaux du peintre, puis soudain se décrochent.
Œuvre vivante.
Laurence

Alphonse lu par Jacqueline R. à Françoise P.

« Alphonse était un doux ».
Ce pauvre Alphonse, un « innocent », comme on disait dans le temps, l’étymologie en étant « incapable de nuire ». Beaucoup de phrases courtes qui sonnent comme un constat : Il est ainsi, l’Alphonse ; « Eh oui, c’est comme ça, qu’est-ce qu’on y peut, nous autres… » disait souvent une vieille bretonne fataliste, résignée, à mille lieues de la révolte. Elle eût certes prononcé sa phrase favorite en regardant Alphonse. À voix haute, la condition d’Alphonse, son quotidien, paraissent plus mornes, plus gris encore et à cette grisaille douce s’est alliée peu à peu celle plus récente, de ma propre voix, ma voix grise depuis que j’ai eu des problèmes aux cordes vocales. C’est la première fois que je me réentends vraiment et je ne reconnais plus cette voix qui fut capable jadis d’emplir une grande salle sans problèmes. J’ai senti poindre un peu de rage, ni révolte, ni cafard mais de la rage, en m’entendant lire. Et puis Alphonse a accompli un miracle : en disant sa vie lisse et sans joie, si présente, en réalisant que des Alphonse, il en avait existé, il en existerait, m’est venue une forme de mépris de moi-même : une voix perdue, la belle affaire ! Si encore j’avais dû renoncer à chanter La Tosca à la Scala ! À la niche, pauvre andouille !
Merci, Alphonse !
Jacqueline R.

Peur, promiscuité, persécution. Partit trop tôt le père.
Partit trop tôt le père, mais s’il était resté, Germaine serait-elle mieux considérée ; aurait-elle été battue par son époux qui estime avoir été bien bon d’épouser la sœur d’un pauvre bougre, l’idiot du village, que sa mère jugeait incapable de traverser seul la rivière et le lui interdisait.
Il aurait su la traverser la rivière, il le sait, il aurait su.

Travaux de femmes
C’est déjà s’exclure que de coudre quand on est un homme. Alors, comme exclu, il l’est, coudre s’est peut-être simplement un refuge. Comme la femme, il se tait et se concentre sur son ouvrage, se fait discret jusqu’à disparaître, pour qu’on le laisse en paix.

Malheur,
C’est un malheur d’avoir Alphonse pour fils. Les mains petites d’Alphonse pourraient se joindre pour une prière quand la nuit vient et que le silence règne. Une prière qui demanderait au ciel un moment de répit.
Les mains petites d’Alphonse pourraient lui effleurer la joue, y déposer une caresse, pour lui -même, qui lui dirait je t’aime.
Françoise P.

La tirelire, lu par Josiane à Catherine

Quel bonheur dans la fratrie ! Même si mademoiselle la sœur impose ses règles, tout se fait dans la bonne humeur. On se partage le lit selon des règles bien établies. Première règle : l’article dit du traversin. Un traversin sépare le lit en deux parties égales, la moitié pour la sœur, l’autre moitié pour les deux frères. Quand on n’a pas eu le bonheur d’avoir des petits frères, on se sent frustrée. Comme il aurait été délicieux de pouvoir énoncer les règles d’une voix péremptoire, sans possibilité de rébellion à des petits frères soumis. A côté de cela, pauvre princesse de carte postale, on se rappelle simplement avoir glissé dans son lit un fameux traversin à l’enveloppe fleurie et avoir donné l’ordre à ce prince charmant fictif de nous réchauffer, de nous cajoler, de nous cocooner et même de nous embrasser...
Et dans mon souvenir, l’écureuil tirelire était-il tapi dans l’ombre comme la bête des enfants de notre histoire ? L’article deux dit article de la tirelire, stipulait de déposer dans ladite tirelire, une chose singulière avec l’aval de la sœur qui devait en accepter l’offrande.
Là encore, quand on est toute seule, on sait ce qui se cache dans le ventre de notre bête, pas de surprise, pas d’interdit, pas d’émotion, pas d’engueulade en perspective, on est sage, car on est seule, on n’a pas de règlement car on n’a personne pour le faire appliquer, il nous manque ce petit grain de folie pour faire au moins , une fois dans sa vie, le bordel dans la maison.
Josiane

Je ne m’attendais pas à une histoire de ce genre. La lecture est douce, les mots m’arrivent à profusion, mon abécédaire est presque rempli : si j’enlève les lettres qui comptent double ou triple au scrabble, j’ai un mot pour toutes les autres lettres et même plusieurs.
Ça tombe bien, c’est Josiane, amateur de scrabble qui m’a fait la lecture !
A Arrière-train et album : qu’en dire ? « arrière-train », un mot qui plaît aux enfants et « album », enfant j’aimais les albums, albums d’images, et plus tard albums de photos
B la bête, chez Marie-Hélène Lafon on parle des bêtes, souvent et puis « bon point » souvenir d’enfance, les bons points récoltés à l’école primaire qui donnaient droit à des images...
le C est très chargé, c’est chaud, on chatouille, on chérit son caniche, on applique la charte de cohabitation en utilisant son cahier de jeux.
au D doux et derrière : le derrière est doux
à la lettre E les mots sont encastrés, emmêlés, engoncés
au moindre frisson du F, on s’enveloppe de fourrure
le G est un garçon, le H est hors temps
le I est interdit et ingénieux et si c’est une fille elle est indécise
la lettre J est jouissance. Passons le K.
au L le lit jaune, un livre de lecture pour la sœur, petit nom dont mes frères m’affublaient avec délectation, « la sœur »
au M un manège de mots luisants, les mots coulent dans la bouche de Josiane, ils glissent jusqu’à mon oreille attentive à les capter
à la lettre N se niche Notre Père, il a baigné mon enfance, récité à voix haute, en disant vous, ou chanté en disant tu, toujours en chœur
O comme offrande, ou comme l’orifice du tronc où on la dépose, là où on officie.
P la prière est quotidienne, parfois on a la peur au ventre, la peur d’être puni... alors le pelage de l’animal de compagnie est d’un grand réconfort
le Q bien qu’il compte pour 8 points (et non 4) est présent à la quatrième génération, comme Jean et Marie dans les derniers Indiens
le Roi de cœur représente la lettre R, il est seul
S comme sœur et sanctifier
T la tante de Paris dans « la tirelire » côtoie le traversin et le tunnel
et V pour finir d’une voix infime, la vraie adulte est vivante, ce n’est pas volé
de mon abécédaire, je n’aurai mis de côté que les K, le U, le W, le X, le Y et le Z.
Catherine