J’ai descendu dans mon jardin

lundi 29 février 2016, par Webmestre

J’ai descendu dans mon jardin
Pour y cueillir du romarin....

La mine triste. L’écorce blême. Abattu. Abasourdi. Branches affaissées de tous côtés. De lui-même éploré, le châtaignier déprimé, abritant le jardin potager, sanglote.

Que t’arrive-t-il beau châtaignier ? Quel malheur imprévu te cause tant de chagrin ?

Voilà que l’on me veut à nouveau du mal !Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire. Certaine secte malfaisante mijote encore un coup fourré et cherche à me torturer.
Conserver ou supprimer le circonflexe, que porte sur la tête, le premier de mes z’« a ». Pourquoi, aujourd’hui, remettre ça sur le tapis ? Quelle fâcheuse manie !
L’imagines-tu sans son circonflexe mon z’« a » ? M’imagines-tu sans lui ?
Plus que centenaire, j’en serais défraîchi, rabougri, vieilli, amputé, déplumé, triste comme un jour sans pain et comme une nuit sans lune.
Cet accent est un pic, un roc, un cap, que dis-je, un indicateur de diphtongues graphiques. Il est un signe diacritique, il allonge mon z’« a ». Grâce à lui, je plonge mes racines dans ses origines latines et grecques voire hébraïques. Il modifie la prononciation noble de ma voyelle, lui fait chanter grave et varier son timbre de voix délicat. Il est son accessoire de mode, son parfum, son fond de teint, son blush et son mascara !
Il est signe de ma noblesse, mon bijou de famille, mes armoiries, mon emblème, le blason de ma ligneuse lignée, mon chapeau de soleil, ma cagoule pour l’hiver. Il me préserve des rhumes, il est mon bonnet de nuit.
Si je rêve, il est en paille de riz et je m’en vais par les rizières, de chimère en chimère, faire un tour en Asie.
Mes fruits en sont couverts comme d’un parapluie.
Depuis 1740, dans ma champêtre famille, il se transmet de fleurs en fruits et j’entends bien conserver ce z’« a » chapeauté, ce z’« a » distingué, jusqu’à ma fin de vie.
Ma colère gronde. Chagriné, je m’insurge et je pleure. Que l’on ne s’avise point d’amputer ma dynastie de cet emblème séculaire
Un jour on écrirait châtaignier, un autre chataignier !!!!
Quel sacrilège ! Quelle hérésie ! Quelle infamie ! Quelle incohérence !
Un jour on écrirait maîtresse, un jour on écrirait maitresse ! »

À ce mot mon cœur bondit ! Je pâlis, je rougis. Un trouble s’éleva de mon âme éperdue. Je ne pouvais parler. Mes yeux ne voyaient plus.

Non ! Pas MAÎTRESSE !
Ne touchez pas à ce mot-là ! Il est trop beau. Il est trop bien. Il est à moi. Il est mon titre, mon sceptre, mon emblème, mon lys, ma couronne royale si fièrement portée.
Tirée à quatre épingles et toujours de belle mise, je fus, voilà longtemps et dans une vie scolaire « SA MAJESTE LA MAÎTRESSE ».
Du « i » n’enlevez point l’accent, je vous prie, ne fusse que de temps en temps !

Déchue et détrônée, de puis belle lurette, j’accuserais ce coup en manque d’élégance et il serait encore, malgré ma grande vieillesse, un des plus grands.

JM