Textes de Sarah

vendredi 3 mars 2017, par Webmestre

UN FEU DANS LE CIEL
Sarah Newton

Un feu s’embrasa dans le ciel quand arriva la flotte d’invasion de Jupiter. Les habitants de la Terre avaient eu trente-deux minutes — le temps de voyager entre les deux planètes à la vitesse de la lumière — pour se préparer à la fin de leur monde.
Les trente-deux minutes suffirent à Sam pour hacker le réseau de drones du système de surveillance global de la CIA, et pour coordonner les actions des membres de l’Équipe de Premier Contact de l’ONU, qui, forcément, ne s’attendaient pas du tout à ce que leur samedi soir soit dérangé d’une telle manière par des événements complètement sans précédent depuis la naissance du genre humain (Sam, lui, n’accordait aucun crédit aux théories les plus outrancières qui circulaient sur internet concernant les origines des pyramides et des statues de l’île de Pâques) ; et qui, donc — là aussi forcément —, étaient engagés dans toutes les activités habituelles des samedis que l’on attendrait des habitants normaux de leur pays respectifs de par le monde entier.
Ainsi, lorsque Jennifer décrocha son portable, dans la boîte de San Francisco, et Sam entendit la pulsion lourde de la techno derrière sa voix, qui cria pour se faire entendre, une vague d’irréalité se répandit sur la conférence téléphonique à laquelle les membres de l’Équipe de Premier Contact se joignaient un par un. À Tokyo, dans la lueur surréelle de l’aube du Pays du Soleil Levant, Yoshi faisait son jogging quand il reçut l’appel, et se retourna à cent quatre-vingt degrés pour courir comme un forcené vers le gratte-ciel où se trouvait le coffre-fort qui sauvegardait les protocoles, jamais testées, pour communiquer avec une espèce extraterrestre.
Ce fut à ce moment que les premiers sanglots se firent entendre au bout du fil, lorsque la gravité de ce qu’ils tentaient fut saisie ; et s’ensuivirent les premières notes de panique dans les voix.
Mais Francis, à Grenoble, s’entraînait depuis beaucoup trop longtemps, depuis des années — non, des décennies ! — d’études dures et solitaires, pour tout laisser tomber dans le chaos juste à l’instant où la nécessité de rester solidaire et surtout pas découragé était absolue. Il ordonna que le radiophare de Libreville soit activée, afin d’émettre en format numérique la séquence de Fibonacci à la fréquence de l’hydrogène interstellaire, en espérant — comme ils espéraient tous, dans le monde entier — qu’ils avaient affaire à des êtres pacifiques et rationnels.
Internet s’illumina comme une fête aux nouvelles du radiophare ; et John à Hawaii et Margarita à Berlin et Seryozha à Kiev et la chorale complète de l’orchestre symphonique de Sydney (qui était par hasard en pleine répétition au moment exact de L’ARRIVÉE) dirigèrent tous leurs regards vers Libreville. Même Libreville, dont les habitants n’avaient jamais osé rêver que l’installation obscure à l’orée des jungles cinglantes de leur ville attirerait un jour l’attention du monde, ces Librevillois, eux aussi, dirigèrent leurs regards vers Libreville.
Et LES ARRIVÉS y dirigèrent leurs regards aussi. Une nuée de drones et de vaisseaux et de globules luminescents tourbillonnèrent au-dessus de la ville, des voix comme des fanfares retentirent de la flotte d’invasion, et un message apparut sur l’écran de chaque ordinateur et de chaque système de surveillance de la planète Terre. Et il disait :
— Nous vous remercions pour le satellite que vous nous avez envoyé, qui a fait un sacré trou dans la couche de glace qui couvre la surface de notre monde. Mais, nous n’avons pas compris votre message. C’était quoi, exactement, que vous vouliez nous dire ?
Et ainsi un feu s’embrasa-t-il aussi dans les cœurs humains.

KINDERZOMBIE
Sarah Newton (avec mes excuses à Valentine Goby)

Déclencher le sortilège était le seul but. Le monde et la guerre contre Étienne de Blois avaient disparu. Mathilde se dressait seule devant la fontaine sacrée de Charlemagne et ses eaux plates et glissantes comme un miroir au clair de lune. D’une incantation chuchotée, elle laissa tomber les plis de soie de sa robe rituelle, en plaçant ses mains à ses côtés dans une symétrie parfaite face à la statue concupiscente de son maître infernal, dont la bouille ronde luisait d’une lubricité folle. Mathilde eut la chair de poule, un fourmillement dans tous ses membres ; échouer ici signifierait la mort non seulement de son corps, d’une manière indicible, mais de son âme aussi. D’un tressaillement, elle ouvrit la bouche et entonna les mots du rite, la combinaison secrète de sons gutturaux et quasiment inhumains qui déverrouillerait les portails du royaume des ténèbres.
Autour d’elle, le sol bougea. D’abord comme si la Terre se tordait en spasmes, puis violemment, comme si son écorce explosait dans des jaillissements terribles de douleur. Mathilde tournoya, tournoya, un spectre blanc et lisse sous la caresse argentée de la lune, et convoqua des profondeurs des limbes celui qui allait changer son monde.
La terre bouillit, l’air retentit de hurlements de furies, un liquide noir et visqueux gicla dans l’air comme des boules d’algues mortes. Deux bras tordus, à la peau grise et purulente, s’arrachèrent du sol et traînèrent avec un acharnement inéluctable le corps d’un monstre qui fut jadis un homme, facilement reconnaissable par tout habitant du royaume comme le grand guerrier qui, aux temps anciens, avait mené le duché à la conquête de l’Angleterre.
— Nous voilà, les mariés anciens et futurs, haleta Guillaume le Grand, d’une grimace qui répandit des miasmes terribles de ses gencives pourries. Hâtons-nous de conclure notre marché, et le pouvoir de conquête que tu cherches sera à toi de nouveau !