Textes de Roselyne

dimanche 19 mars 2017, par Webmestre

Atelier du samedi 18 février à Chénedet

Eric Pessan :« Il y a le feu sur terre »

Ils sont arrivés à la nuit tombée.

Et une jeune femme, blondeur luxuriante, lèvres peintes d’un rouge vif, hésite sur le bord du trottoir. Elle est raide dans son manteau élégant et serre nerveusement son sac à main contre elle, elle jette des regards apeurés vers la grande maison qui hier encore était abandonnée, elle traverse vite et s’éloigne à grand pas.

Quand un groupe d’enfants, pies jacassantes, joggings-baskets et marchant deux par deux, ralentissent devant la maison, se hissent sur la pointe des pieds pour voir à l’intérieur et se donnent des coups de coude en ricanant. Un coup de sifflet autoritaire les remet en ordre, ils disparaissent au coin de la rue.

Pendant ce temps, deux femmes rieuses, bonnets et écharpes en laine colorées, portent précautionneusement de grands cartons, elles sont rejointes par deux grands gaillards colorés également et chargés de sacs plastiques pleins à craquer, ils sont tous les quatre avalés par la maison.

Tandis qu’un homme grand et sec, cheveux crépus neigeux, pardessus épais gris, arpente la place et gesticule un téléphone à la main, la langue qu’il utilise, venue d’ailleurs, est douce, musicale.

C’est alors que du bar-tabac sortent trois hommes, le verbe haut, peut être quelque peu éméchés, du moins bien flageolants, ils vitupèrent et ont des gestes agressifs vers la maison qui ruisselle désormais de lumière.

Cependant que d’une voiture balisée sort d’un pas pesant un représentant de la loi, uniforme rutilant, moustache conquérante et ventre en avant.
L’autorité incarnée !

Atelier du dimanche 19 février (Valentine Goby)

Ce soir la mère avait encore attendu pour servir la soupe, la laissant d’abord mijoter tranquillement sur le gaz puis la surveillant d’un œil noir et enfin la touillant d’un air excédé de plus en plus vite jusqu’à ce qu’une légère odeur de brûlé l’oblige à éteindre le feu.
La petite, assise devant son assiette, ne pipait mot, elle ne voyait que le dos raide de sa mère plantée devant la gazinière, elle savait que le moindre mouvement pouvait déclencher le drame.
La porte claqua, le père entra, flageolant, pommettes lie de vin et sourire niais collé aux lèvres.
La mère posa la casserole au milieu de la table et d’un geste brutal versa une louchée dans chaque assiette, la soupe épaisse s’était figée, la fillette eut un haut le cœur, son regard croisa celui de sa mère implacable qui lui montra d’un doigt dur la porte, l’enfant sans demander son reste fila dans sa chambre.
Elle prit sa poupée préférée contre elle, lui chantonnant mezza voce une berceuse qui parlait de princesses et de draps de soie, pour ne plus entendre les éclats de voix de l’autre coté de la porte ; elle se concentrait aussi sur son gros baigneur, le déshabillant et alignant chaque vêtement bien en symétrie avec les dalles du sol, elle lui lava sa bonne bouille en celluloïd, en même temps elle agitait frénétiquement ses pieds dans ses petits chaussons roses pelucheux afin de chasser un désagréable fourmillement.
Elle prit sa revue « la petite sorcière » et relut avec application le chapitre intitulé « Sortir d’un cauchemar quotidien ». La fillette enfila alors son pyjama de coton noir échoué au pied de son lit, elle barra violemment sa bouche d’un grand trait d’un rouge à lèvres violacé volé dans le sac à main de sa mère, elle s’agenouilla et en se balançant d’avant en arrière mécaniquement, elle psalmodia d’une voix d’outre tombe :
Combinaison secrète de l’au-delà-humus-et mobile blanc et lisse des ténèbres-boule d’algues mortes des femmes obscures à la peau grise et aux gencives fondues
AIDEZ-MOI