La rousse en rouge écarlate

vendredi 21 septembre 2012, par Philippe Boulnois

T ’es pas causant Roy …
J’ai rien à dire…
C’est un voeux de chasteté ou c’est ta vie intérieure qui t’encombre ?
Roy allume une cigarette, souffle la fumée, et regarde devant lui
C’serait trop long à te raconter
Two mens en bleu nuit, et la rousse en rouge écarlate
Two mens, couvre-chef rabattus sur les yeux, accoudés au comptoir

Dis Roy tu le connais ce mec ?
Quel mec ?
Quel mec ? J’avais pas vu qu’y avait foule !
Non je l’connais pas
Putain… encore une plombe à tirer … J’ai les pieds comme des plats de côtes dans une cocotte minute. Ah il pue ce torchon ! Pourquoi qu’elle me regarde comme ça ? Elle est à tuer cette fille !
C’est calme ce soir dites ?
C’est vendredi m’dame !
Vous pouvez me faire un café glacé ?
Tout de suite m’dame
Merde… le filtre … Ah ça me fait chier de faire le larbin devant cette nana
Two mens en bleu nuit ;
Un de dos qui observe depuis l’ombre de son feutre,
et qui attend.
Et l’autre, la figure dans la lumière qui s’obstine à fixer le serveur.
Et puis la rousse,
en rouge écarlate, qui regarde aux bout de ses doigts,
le temps qui s’enlève en volutes.
Ils sont 4 dans le champ, isolés du monde par un bloc de lumière, qui tient en respect l’ombre de la nuit.
De l’autre côté, l’immeuble rouge écarlate, ouvre des baies noires, sur la rue vide

Roy, tu sais quoi ?
Non.
La période de repos est terminée !
T’es plutôt du genre chiante, tu sais !
J’irais bien danser…
Pas moi !
T’es sûr que tu le connais pas ?
Non, je le connais pas
Votre café glacé m’dame
Merci, quelle chaleur hein ?
C’est l’été m’dame, on annonce de l’orage.
C’est quoi cette grimace ?
Mon bras.
Il a quoi ton bras ?
Il me fait mal …
Oh là ! C’est quoi le poisson ventouse qui vient se coller à la vitre ? Il a pas vu l’heure ?
Un souffle d’air chaud bondit dans la salle climatisée
Le garçon fait « non » de la tête.
Je suis désolé m’sieur, je ne sers plus à cette heure

J’entre et je dis « moteur »
Le costaud-au-costar-de-dos tourne la tête vers la porte
Le gars, à coté de la rousse en rouge écarlate, sort un modificateur de contexte temporel. Il appuie trois fois sur le bouton « STOP »
Le temps du costaud-au-costar-de-dos s’arrête.
Le corps massif s’affaisse sur le comptoir, puis s’amollit encore et glisse du tabouret avec un bruit mou, presque soyeux, qu’égaye le tintement des pieds des tabourets qui chutent.
Et tu prétends ne pas le connaitre ?
J’aimais pas la façon qu’il avait de t’regarder
Mais Roy ! … C’est Toi qu’il regardait !
Non mais… tu dérailles !
Il pointe le revolver vers le serveur
Tu ne nous a jamais vu ! Compris ?
Le garçon acquiesce de la tête
On entend le moteur d’une voiture qui s’arrête au niveau du bar, le couple sort et s’engouffre à l’arrière. La voiture démarre.
Le corps massif du costaud-au-costar-de-dos, aussi tonique qu’une jeune laitue repiquée en plein soleil, trempe dans un brouet écarlate qui s’agrandit, en prenant comme centre le cul du costaud-au-costar-de-dos.
La tête, seule encore, portée par la barre inox en bas du comptoir, brave le repos final.
Le serveur fait le tour. Il se penche sur le corps massif du costaud-au-costar-de-dos.
« pauvre mec… » dit-il pour lui-même.
Dans le porte-feuille il trouve deux billets de cents dollars estampés d’un trou rond.

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