Conflits d’adolescence de siècles.

samedi 24 janvier 2015, par Franck Gauthey

Conflits d’adolescence de siècles.

En ce 5 janvier, Philippe Boulnois m’adressa le mail d’usage selon lequel, le « pointeur » m’avait désigné pour rédiger l’Éditorial de notre site très confidentiel.
Ce jour-là, face à la page blanche, mes cellules grises étaient peu inspirées, baignés que nous étions dans les présentations de voeux. C’était en ce début d’année avant que nous redevenions tous Laïc, « Tous Charlie » pour les Uns , pour vivre des moments historiques, puis forcément pour déchanter plus tard, la liesse collective est forcément, éphémère, génère ailleurs des contre liesses. À l’émotion, succèdent les questions.

Les débuts d’année, c’est ce moment où l’on s’adresse à autrui pour souhaiter une Bonne année 2015 !, Bonne santé !, où les plus intellectuels devisent sur la mort/renaissance des fins et débuts d’années, les plus âgés, malades, les plus pessimistes se questionnent sur le survivre chaque jour à l’année qui vient. Le temps passe, mieux vaut ne trop y penser...

2015, m’avait soudainement inspiré pour deviser sur les quinze années qui nous séparaient du changement de siècle.

Quinze ans, c’est l’âge de l’adolescence boutonneuse, ni complètement enfant, ni complètement adulte. C’est l’âge où l’on se trouve moche, au visage acnéiforme, quelque peu déformé, bouffi. À quinze ans, on est un peu con, en opposition, en soumission, on aspire à être libre sans être libéré loin de là des déterminismes familiaux. C’est croire être dans le vent, sans savoir d’où il souffle. Quinze ans, c’est le mauvais âge ? L’âge mauvais ? Parfois, ça dure...

Comment les rythmes, les cycles, les calendriers, tout aussi subjectifs qu’ils soient initialement nous affectent ? Temps de vacances, fins ou débuts d’années ; lieux, ils nous évoquent quelque chose de notre histoire singulière ou familiale. Nul n’a eu trop le temps d’y penser, mais 2015, 2015 en tournant les pages du calendrier, qu’est ce que cela vous évoque ? Oh rien, il vaut mieux ne pas y penser...

L’an dernier 2014 a forcément convoqué la mémoire de la grande guerre de 1914, celle des nationalismes, l’horreur des tranchées, un mode de guerre qui fût expérimenté pour la première fois durant le siècle précédent en 1901 lors de la guerre du Transvaal en Afrique du Sud. Une expérimentation qui connut sa réplique treize ans plus tard dans le siècle pour se généraliser mondialement. En matière de violence et de conflits, notre charmante humanité n’a jamais manqué d’imagination.

S’il m’était donné l’occasion d’écrire sur le sujet, pourquoi ne pas rédiger quelques lignes à se demander si l’expérimentation des attentats du 11 septembre 2001 connaîtrait à l’instar des suites mathématiques des répliques treize/quinze ans plus tard ? Du coup, le temps, celui de l’écriture à manquer. Occasion perdue de paraître intelligent sur le site de page blanche !

L’adolescence boutonneuse des siècles, les siècles en quinze que nous apprennent-ils ?

1915— Première guerre Mondiale depuis quatre mois et qui durera quatre ans, échec de nombreuses offensives alliées. Les britanniques prennent l’Irak aux Ottomans. Lénine vit toujours misérablement en Suisse, dans deux ans, 1917, la Russie va basculer pour 72 ans.
1815 – Défaite de Napoléon, l’Empereur à Waterloo, un 18 juin, deuxième retour de Louis XVIII, unification de l’Allemagne, création de la confédération Germanique (contre la France), création du Royaume des Pays-Bas, Congrès de Vienne, modification de la carte de l’Europe.
Bref, l’adolescence boutonneuse des années 1800, met un point final au premier Empire et reconfigure la carte de l’Europe.
1715 – Louis XV succède à Louis XIV, la régence, la libération des esprits et des moeurs. L’apogée du modèle monarchique ? La machine à vapeur prend sa forme définitive.
1615 – Louis XIII, Régence Marie de Medicis. Henri IV, assassiné cinq ans plus tôt, cinq ans plus tard, une secte protestante, les Puritains, marchands pieux fondent le premier établissement anglais en Nouvelle Angleterre avec le projet d’y créer la Nouvelle Jérusalem Céleste, pour les élus et certainement pas pour les peuples autochtones... Influence culturelle majeure sur ce qui donnera naissance 160 ans plus tard à ce qui deviendra la puissance dominante du Xxième siècle.
1515 — Début du règne de François Ier. Dans deux ans, 1517 Luther publie ses 95 thèses, la Réforme de Luther qui trente ans plus tard gagnera les deux tiers des régions allemandes et les pays scandinaves. La question du salut, affaire individuelle, prédestination ou affaire institutionnelle, celle de l’Eglise ? Bientôt, ça va saigner, et pour longtemps... Développement culturel et économique accéléré dans les zones sous influence de la réforme. Magellan entreprend le premier tour du monde.
1415 — Défaite française d’Azincourt devant le roi d’Angleterre Henri V. Bientôt la Normandie sera Anglaise, juste retour des choses après la conquête du Duc de Normandie en Angleterre 350 ans plus tôt.
1315 – Première horloge publique à Caen, 1314. Premiers hauts fourneaux à Soufflets hydrauliques. Règne de louis X.
1215 -Concile de Lattran réunis par Innocent III, apogée de la monarchie pontificale, à noter 1217 cinquième croisade contre l’Egypte 1115 – Règne de Louis VI le Gros – réforme et expansion fulgurante de l’ordre Cistercien
1015 – règne de Robert II le Pieux, successeur de Hugues Capet

L’adolescence boutonneuse des siècles se montre souvent tumultueuse, pas toujours mais souvent, aux répercussions significatives. Et puis, cette Révolution Française, puis Napoléon, quels bordels identitaires ont-ils mis en Europe, avec des répercussions qui ont pour le moins duré ? Quant aux Religions, guerres de religion, croisades, elles ont pour le moins marqué l’histoire au feu si longtemps que le dessin, la caricature représente t-elle en partie une jubilation d’avoir échappé à son emprise ?

Ce bref parcourt des adolescences boutonneuses des siècles nous rappellera combien les appartenances, les identités sont le produit de conflictualités, d’opposition, de recompositions, de violences, d’illusions collectives. En matière de soumission à des pouvoirs temporels ou intemporels, de luttes de religions, de croisades, d’invasions, peu de sociétés y ont échappé. C’est le passé, dit-on ! Forcément oublié dans le présent permanent, le court terme ? Pourtant, à la lueur de certains évènements, de relations intergroupes, les représentations imaginaires sous-jacentes s’activent, débordent.

Dommage qu’en 2014 nous n’avons pu célébrer les huit siècles de la première horloge publique, 1314 à Caen. Comme le notait l’historien Britannique Lewis Mumford, c’est le temps, et non la machine à vapeur, qui est à l’origine de l’ère industrielle moderne. Si la maîtrise des calendriers, solaires ou lunaires était déjà intégré dans le rythme de l’activité pour les peuples de la terre ou de la mer, ce temps maîtrisé, qui s’intègre dans la vie collective, aux mémoires — un siècle, c’est dit-on la mémoire orale de trois générations- Temps qui devient dans la société capitaliste, comme l’a si bien résume Benjamin Franklin au 18e siècle, « le temps, c’est de l’argent ».
Comment le temps, les dates, les rythmes, les calendriers agissent sur nos consciences individuelles et collectives ? Pour Huysmans, les « queues de siècles » se ressemblent, marquées par un sentiment de décadence, de fins, d’épuisement. Thèse que développe l’anthropologue Américain Hillel Schwartz pour lequel la fin de siècle est une sorte de mur/miroir ou l’humanité entrevoie sa fin, projette toute sorte de fantasmes, d’images, et pour y échapper cherche à se dédoubler, augmenter sa jouissance qui se prolonge dans un tout début de siècle marqué par un glamour insouciant.
Et les adolescences de siècles par quoi sont-elles marquées ?