Atelier du 5 février 2022

lundi 7 février 2022, par Caroline Lanos

animé par Antoinette
Thème Ni vues, ni (re)connues

1- Rechercher les expressions avec "vu"
2- Ecrire un petit texte comprenant deux expressions tirées au sort
3- Voir, c’est quoi pour vous ? Sous forme de liste : Voir, c’est....
4- Choisir un regard parmi les trois suivants :
- regard d’un tout petit sur sa mère
- regard amoureux (ciblé sur une femme)
- regard sur une femme, sur plusieurs femmes, d’un artiste, peintre, sculpteur...
Ecrire un texte sous forme de liste sur ce regard.
5- Ecrire un récit dans lequel il y aura un regard.

Bien vu, chère amie ! Toi qui dis toujours que tu ne vois bien que lorsque tu es très près des objets, pour une fois tu les as vues les éoliennes. Elles te font des clins d’oeil depuis la campagne que tu aperçois là-bas, au fond, tout au fond. Elles tentent de te séduire, tiens ! Et ça marche, il me semble ! Je te soupçonne de voir de près et de loin quand cela t’arrange. N’aurais-tu pas un don de double vue ?

Voir c’est ouvrir les yeux sur le monde
Voir c’est lire et comprendre
Voir c’est écouter et s’émerveiller
Voir c’est s’approcher et regarder
Voir c’est toucher avec les yeux
Voir c’est apprendre et surprendre
Voir c’est voir avec le coeur
Voir c’est réfléchir
Voir c’est pleurer et s’émouvoir
Voir c’est avoir envie de revoir
Voir c’est voir plus loin que le bout de sont nez
Voir c’est prévoir et concevoir
Voir c’est plus qu’apercevoir
Voir c’est garder l’espoir
Voir c’est échanger et sourire
Voir c’est donner et recevoir
Voir c’est marcher pour voir
Voir c’est accompagner et transmettre

Le regard d’un bébé sur sa mère

« Elle caresse mes joues roses de ses mains de géante.
Elle caresse ma tête chauve de ses mains géantes.
Elle est très grande.
Elle se penche vers moi de toute sa hauteur.
Elle me prend dans ses bras qui sont longs et duveteux.
Elle me serre trop fort
Elle chante de tendres berceuses du soir d’une voix douce.
Elle me cache beaucoup de parties de son corps
Elle me blottit dans son cou parfumé doux... »

Quelqu’un regarde quelqu’un d’autre. Un regard. Celui qui regarde raconte.

« Elle est assise par terre, sur le bitume gris, à la porte du super-marché , vêtue de vêtements amoncelés, dépareillés, les pieds nus dans une paire de chaussures noires sans lacets. Sur sa tête un bonnet de laine enfoncé laisse dépasser des cheveux très bruns, très frisés. Ses mains sont pleines de poussière de craie de toutes les couleurs. Sur le sol, devant elle , elle a dessiné un portrait de femme défigurée.
C’ est samedi matin, il y a foule sur la parking aménagé. Les caddies s’entrechoquent, les voix s’entremêlent en mots incompréhensibles. On vient en famille faire les courses pour la semaine. Des enfants courent et chahutent. Dans les chariots les plus petits, debout, trépignent. On ne voit rien, on ne pense qu’à la liste que l’on a dans la main.
Elle parle en italien, « l’assise par terre », en montrant son dessin.
« Per mangiare ! Per mangiare ! Grazie, grazie mille ! »
Mes yeux croisent les siens et le temps s’abolit. Ils refusent la pitié ses yeux-là. Ils demandent juste de l’aide pour aller un peu plus loin, peut être jusqu’à demain. Mon regard ne s’apitoie pas, le sien me l’interdit. Elle m’offre son dessin contre un peu de pain.
Je lui souris pour dire que j’ai compris. »

JM

Alors que je marche dans le couloir, je l’entends dire « Ouille-Ouille-Ouille ». Je l’interprète comme un appel. Je lui dis bonjour et je m’approche d’elle. Elle ne peut s’empêcher de s’agiter dans son lit, est-elle douloureuse ? Inconfortable ? Je suppose qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Elle ne parle pas mais me regarde et continue de dire « Ouille-Ouille-Ouille ».
Je lui propose de boire et je l’y aide. Je vois que de l’eau coule le long de son visage. Je prends sa serviette et je lui essuie la bouche. Plus tard, je m’aperçois qu’elle est capable de le faire seule. Puis elle prend le yaourt et essaye de le manger à même le pot. Son autre main serre fermement la barrière de lit. Fait-elle cela car elle a besoin de se raccrocher à quelque chose ? Est-ce que ça la sécurise ? Je l’aide à manger son yaourt, je suis à sa hauteur afin qu’elle voit chacun de mes gestes. Elle n’a montré aucun signe d’opposition.
Après cela, elle recommence à s’agiter, à crier. Je perçois son corps très amaigri, elle est en chemise de corps. Elle n’est plus levée, ni habillée/ Mais elle est toujours là, ses cris et son agitation viennent témoigner de son vivant jusqu’à ce qu’elle s’éteigne. En fin d’entretien elle me dit : « merci d’être venue ». Il y a eu rencontre, je l’ai vue et reconnue.

Laetitia

Elle se tient, nuque inclinée la mèche folle
Elle laisse son regard tomber et accrocher le bois du parquet ciré
Elle fixe la veine du bois et s’embarque à son flux
Elle retient son genou, ses mains croisées comme pour retenir tout un monde
Elle flotte le tissu de soie qui ne demande qu’à glisser de son épaule
Elle attrape toutes les effluves d’huile, sa narine la chatouille
Elle s’alanguit, tenir la pause, il le lui intime, jusqu’au creux poplité
Elle entend le bruit du pinceau qui racle la palette
Elle aimerait saisir son regard. Faire une pause. Elle l’en implore à demi-mot.

J’ai aperçu la fatigue, le relâchement, à la minute où j’ai reposé mon pinceau, lorsqu’elle a déroulé sa nuque. Ses yeux se sont éclairés, colorés, ses yeux sont sortis d’elle-même ; Du vert a jailli, du Glaz venu tout droit d’un coté sauvage, d’une femme bousculée, sensible. J’ai lu à ce moment toute la mer déchaînée, et à l’intensité de son regard implorant le lâcher-prise, au bâillement qui suivit.
J’étais à mon tour intimidée. J’ai glissé mes paupières sur mes yeux en lui ajustant le peignoir sur la ligne parfaite de son dos musclé.
Une fois le pinceau posé, il me semblait sortir de ce paysage, au pays des corps dénudés.
Je me suis excusée, sans fioritures. C’était à moi d’être désarmée par toute cette beauté.
J’ai pensé : C’est mon regard qui la sublime, à cet instant-là. Dans ce regard j’ai flirté avec la grâce, un don du ciel, c’est fugace, intensément fulgurant…
Un regardeur passeur de couleurs, égaré, mais ébloui.
Stéphane.